41ème étape : Ostabat Saint-Jean-Pied-de-Port

Aujourd’hui, j’ai reçu des nouvelles du Tchad, envoyées au presbytère de Saint-Jean-Pied-de-Port. Un immense MERCI à tous ceux qui ont participé à cette magnifique surprise. Il ne doit pas y avoir beaucoup de tchadiens sur le chemin de Compostelle, et parfois je me plais à imaginer que j’y représente le Tchad.

J’ai marché jusqu’à ce jour plus de 1000 kilomètres : la moitié seul, et le reste avec Marc, mon pote de Gouda. Nous nous sommes bien entendus, alternant très naturellement les temps de silence et de discussion. Il était l’intendant et moi l’éclaireur.

Soudain, à Saint-Jean-Pied-de-Port, l’organisation est bouleversée. Dans le refuge, nous trouvons cinq espagnols et un gars venu d’Uruguay, tous ici pour leur premier jour de marche, demain. Au milieu de tout ce monde, nous nous sentîmes un peu perdus, et je vis des larmes dans les yeux de Marc, qui faisait son deuil de plus de 2000 kilomètres de marche presque en solitaire. Nous entrons maintenant sur l’autoroute pèlerine espagnole.

Nous avons interdiction de passer par la route Napoléon demain, car le col est enneigé. Malgré cela, l’Urugayen veut l’emprunter, mais pas seul, et tente de nous entraîner dans l’aventure. Moi qui ai des kilomètres dans les jambes, je sais que l’aventurier met tout en œuvre pour atteindre le plus sûrement son rêve. Et mon rêve, c’est Santiago ; pas la route Napoléon.

Pour les capgéminiens qui me suivent, voici mon CRA :
– Avancement : 1015 kms environ
– RàF : 820 kms environ
Je ne parle pas en jours-homme. Pour l’instant dans mon monde, l’unité de temps, c’est l’éternité, nananère !

NB : je ne sais pas comment se comportera mon téléphone en Espagne. Je maintiendrai le rythme d’un billet par jour, mais il se peut que je ne puisse pas mettre à jour quotidiennement le blog.

40ème étape : Sauveterre-de-Béarn Ostabat

Aujourd’hui, naturellement, je n’ai chanté, sifflé ou meumeumé que ce refrain, celui que reprenions en canon chez les scouts :

E ultreïa ! E ultreïa ! E ultreïa ! E ultreïa !
Santiago, Santiago !
De Vézelay,
Du Mont-Saint-Michel,
Du Puy-en-Velay,
Ostabat !

Le petit village d’Ostabat est en effet le point de convergence de trois routes principales vers Compostelle :

  • celle de Vézelay, qui draîne ceux qui viennent du nord, les Allemands, les Belges, les Goudas…
  • celle de Tours, qui peut se prolonger jusqu’au Mont Saint Michel, qui conduit les Bretons, les Parisiens, les Anglais, les Écossais…
  • celle du Puy, qui mène ceux de l’est de la France, de Suisse, de toute l’Europe de l’Est…

On peut penser ce que l’on veut du récent prix Nobel décerné à l’UE, mais je ne peux pas m’empêcher de croire qu’au même tarif, les chemins de Compostelle et le petit village d’Ostabat en méritent bien un par siècle, depuis que les peuples d’Europe s’y donnent rendez-vous.

Aujourd’hui la grêle et la pluie se disputèrent le match, mais le soleil tenait le rôle de l’arbitre. J’ai vu une collection d’arcs-en-ciel, de quoi décorer les ventres d’un régiment de bisounours. Je vous laisse imaginer ce que ça peut donner quand on embrasse du regard les Pyrénées, un arc-en-ciel naissant à ses pieds et se perdant dans les trous de lumière laissés par des nuages bleus, blancs, noirs.

39ème étape : Orthez Sauveterre-de-Béarn

Aujourd’hui, j’ai beaucoup pensé à Philippe et Catherine, mes hôtes de l’étape d’Auxerre. Eux-mêmes étaient pèlerins et avaient dû s’arrêter à Orthez, à cause d’un genou blessé.

Quand je me lamentais à Charost sur l’état de ma jambe, ils m’envoyèrent un SMS, bourré d’optimisme, qui me décida à reprendre la route, même si pour cela il me fallut marcher petitement et les dents serrées.

Maintenant que j’ai dépassé l’étape qui fut leur dernière, je mesure leur mérite d’avoir marché jusque là, et je les emporte avec moi au-delà d’Orthez.

Ce matin je feuilletais un recueil de Charles Péguy, et bien sûr j’ai relu le poème Présentation de la Beauce à ND de Chartres que vous connaissez tous, car c’est celui dont l’allemand récite les deux premiers vers, dans la scène du train de la Grande Vadrouille.

Je recopie les deux quatrains qui décrivent si bien l’état du pèlerin :

Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille.
Nous n’avançons jamais que d’un pas à la fois.
Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois,
Et toute leur séquelle et toute leur volaille
Et leur chapeaux à plume avec leur valetaille
Ont appris ce que c’est que d’être familiers,
Et comme on peut marcher, les pieds dans les souliers,
Vers un dernier carré le soir d’une bataille.

38ème étape : Labastide-Chalosse Orthez

Aujourd’hui, j’ai appris que le village de Labastide-Chalosse s’appelait avant la révolution Labastide-de-Pont-la-Reine. Il était nommé ainsi comme un jumelage avec la ville espagnole de Puente-la-Reina par laquelle passe également le chemin de Compostelle.

Hélas pour la petite localité qui s’était prise pour une reine, cette prétention bien placée ne survécut pas à l’idéologie révolutionnaire. La prétention n’est pas une vertu au pays de l’Égalité.

Le Béarn est un pays de ponts qui n’enjambent ni fleuves ni rivières, mais un grand nombre de gaves. Les pèlerins d’autrefois traversaient beaucoup de ces cours d’eau à pied. Tous ceux qui venaient des Landes, alors couvertes de marais, étaient déjà maîtres de ce sport. On peut dire qu’ils mouillaient le maillot. Le pèlerin moderne, marchant dans de bonnes godasses sur des chemins bien tracés, a sans doute moins de mérite. Pourtant, il estime être un lointain descendant de ces jacquets de jadis.

Encore une histoire de prétention.